Dans la catégorie des multicoques, tous les ingrédients d’une course d’anthologie sont réunis pour cette douzième édition de la régate internationale. Pearl Romance, vainqueur des cinq éditions précédentes, est donné favori, malgré les ambitions de ses rivaux, plus déterminés que jamais à faire chuter de son piédestal l’Outremer 45 barré par Pierre Cosso, l’acteur reconverti en navigateur.
Makatea, un Edel de 35 pieds, et un nouveau venu, Ekolo’Kat, barré par Nicolas Gruet, qui a lui-même dessiné son bateau, figurent parmi les plus farouches opposants au maintien de la suprématie de Pearl Romance, sans compter Superflux, un trimaran sorti du chantier Neel, qui a recruté spécialement pour l’épreuve un skipper professionnel.
Coup de tonnerre dès le départ au matin de la première régate dans le lagon de Raiatea. Pearl Romance n’est pas présent sur la ligne ! Tel le lièvre de la fable de La Fontaine, pendant que les multicoques foncent à toute vitesse vers l’arrivée, le tenant du titre s’approche paisiblement, sans se douter que la course a déjà commencé…
Attention Pearl Romance, rien ne sert de courir, il faut partir à point…
Il faut dire que l’organisation est fort mal nommée, et que “désorganisation” serait plus approprié pour définir l’incroyable anarchie qui précède chaque départ, les modalités étant modifiées tous les jours à la dernière minute…
Bon dernier, Pearl Romance abandonne de précieux points à ses adversaires. Mais le tir est rectifié dès la régate suivante, puisque les bateaux s’élancent vers Huahine. Tous les multicoques choisissent la route Sud. A l’exception de Superflux, qui marque à la culotte Pearl Romance, lequel a choisi la route Nord. Choix judicieux s’il en est, puisque Pearl Romance finit très largement en tête, et figure parmi les 4 bateaux sur 41 à passer la ligne d’arrivée dans les délais impartis.
Une hécatombe !
Le ton est donné, Superflux affichant clairement ses ambitions de ne pas lâcher d’une semelle Pearl Romance. Entre ces deux là, la rivalité est à son comble.
Confirmation en est donnée le lendemain matin, lors de la régate de Huahine. Pearl Romance distance ses adversaires, mais à quelques encablures de la ligne d’arrivée, se retrouve scotché sur place par manque de vent. Superflux, galvanisé, voit la victoire lui tendre les bras. Il se lance alors droit sur son adversaire, oubliant que ce dernier a priorité. Le choc entre les deux bateaux est terrible. Le flotteur tribord du trimaran est éventré, tandis que Pearl Romance n’a pas la moindre égratignure. Pearl Romance franchit la ligne en deuxième position. Ekolo’Kat, opportuniste, a profité de la collision pour chaparder la victoire d’étape. Pour le reste, ce n’est que justice : le bateau responsable de la collision est le seul à en pâtir.
C’est ce que croient tous les observateurs, jusqu’au départ de la seconde régate du jour, qui ramène les bateaux de Huahine vers Raiatea. Nouveau coup de théâtre : la barre de Pearl Romance est endommagée suite au choc, le bateau n’est plus manoeuvrant. Une nouvelle fois, ses adversaires s’envolent. Mais le tenant du titre ne baisse pas les bras, répare en catastrophe, et franchit la ligne de départ… dix secondes après sa fermeture ! Quel que soit le résultat de la course, Pearl Romance est disqualifié pour cette manche.
Qu’importe, pour l’honneur, tout l’équipage et le capitaine se donnent à fond et remportent la régate haut la main. Mais ce résultat ne peut pas être comptabilisé, malgré un recours déposé entre les mains du comité de course, qui restera inflexible.
Toutefois, Superflux est disqualifié pour la manche du matin.
A la veille du dernier jour, Pearl Romance n’est donc, compte tenu de tous ces aléas, que quatrième au classement général, précédé notamment par Makatea et Ekolo’Kat qui confirment ainsi leur statut d’outsiders.
Pour la dernière journée, le tenant du titre n’a plus droit à l’erreur. La leçon semble avoir été retenue, puisqu’il remporte facilement le parcours banane du matin, dans le lagon de Raiatea.
Puis vient le départ de la dernière étape : le tour de Tahaa. Là encore, Pearl Romance prend un départ foudroyant et laisse ses adversaires loin derrière. Après avoir viré la dernière bouée et hissé son spi, on imagine le catamaran barré par Pierre Cosso en route vers une victoire facile.
C’est sans compter sur la malchance qui s’acharne. La drisse de spi casse net ! Le spi passe sous le bateau, et s’emmêle dans les safrans. L’un des équipiers doit plonger pour démêler, tandis qu’à bord c’est la panique : le bateau fonce sur les récifs !
In extremis, le spi est dégagé, largué sur une bouée, et les récifs évités de justesse. Mais tous les multicoques ont assisté à cette débâcle et réalisent ainsi qu’ils ont tous une chance de remporter la victoire finale.
Pour Pearl Romance, c’est simple : il fallait faire une course parfaite, et ça ne pouvait pas démarrer plus mal. Une fois encore, il faut réaliser un miracle pour gagner. Tout l’équipage, soudé, se lance alors corps et âme dans la reconquête du temps perdu.
Les adversaires, qui sont en ligne de mire, donnent des indications précieuses au poursuivant sur l’état de la mer et les conditions de vent. Pour déborder Tahaa au Nord Ouest, tous choisissent la route du large, et sont déventés. Pearl Romance choisit de longer la côte, et trouve du vent. La moitié du retard est comblée. Puis, au Nord, les bords de près dans le lagon donnent à l’Outremer et son équipage l’opportunité de faire parler la poudre. Ce sont successivement Mohemiti, Lipton et Superflux qui sont rattrapés.
Sur le dernier bord, sous Code 0, Pearl Romance achève sa course comme une fusée, et franchit la ligne d’arrivée avec une pointe à plus de 16 noeuds !
Il n’en fallait pas moins pour s’imposer, puisque les trois premiers se tiennent en moins d’une minute en temps compensé.
C’est à l’issue d’un suspense haletant que Pearl Romance-Nusa Dua s’impose pour la sixième fois dans l’épreuve, faisant ainsi mentir La Fontaine.
Il sert parfois de courir, surtout quand on ne part pas à point !
PC