Vendredi 6 Juillet 2018 – Ils étaient 52 groupes inscrits en février et sont finalement 38 à participer, du 4 au 21 juillet place To’ata, aux concours de chants et danses du Heiva i Tahiti. S’il ne fait aucun doute que les groupes sont tous en effervescence avant leur passage sur scène, le jury, qui déterminera les gagnants de cette édition 2018, n’est pas en reste. Son président, le chorégraphe et metteur en scène indépendant Moana’ura Tehei’ura, nous en parle.
On t’a déjà retrouvé dans le jury du Heiva i Tahiti, mais c’est la première fois que tu le présides. Qu’est-ce que ça t’inspire ?
Ça fait loin depuis la première fois où j’ai côtoyé le jury, en 2001, en tant que stagiaire du jury. C’est une belle étape. Ça m’a fait prendre conscience de cet héritage que nous avons, et qui est parfois, sous certaines facettes, assez fragile. Et d’avoir cet héritage qui est porté par l’ensemble des groupes, on reste humble face à cela. On reste aussi à l’écoute de tout le monde car chacun à son parcours culturel, chacun a eu cette transmission du savoir et on doit se questionner sur notre propre parcours. C’est un peu aussi le rôle du président du jury, du moins comme je le conçois aujourd’hui : questionner, confronter les idées au sein du jury et parfois ne pas être d’accord, mais toujours avec respect. Si on a élu un jury, ce n’est pas pour qu’ils soient tous d’accord, c’est pour qu’ils aient justement des discussions au moment des débats et qu’ils aient chacun un parcours, sinon on mettrait des robots en membres du jury et puis le Heiva serait fini. Là on met des êtres humains, qui viennent finalement avec leur part d’humanité et qui la confrontent aux autres et questionnent la leur. »
Le travail du jury commence bien avant les soirées de concours. Peux-tu nous en parler ?
Avant les soirées de concours, nous allons à la rencontre des groupes pour voir ce qu’ils ont comme spectacle. Nous avons commencé ces tournés au mois de mai et elles se sont achevées mi-juin. Nous allons au contact des groupes pour parler du règlement et échanger, les rassurer par rapport à leurs inquiétudes, leurs demandes, leurs doléances… Le jury apprend par la même occasion à mieux apprivoiser le règlement du concours et à interroger aussi les limites de ce règlement. Parallèlement, le jury a eu des formations au cours desquelles chaque spécialiste s’est exprimé sur sa spécialité, que ce soit en himene ru’au, tarava tahiti, en danse, etc., et a émis les points essentiels pour chaque concours. Puis nous procédons à ce que j’ai appelé un ‘Heiva virtuel’. Grace à la Maison de la culture, on a pu retrouver les archives du Heiva, en chants et en danses, et on a fait une simulation de notation sur vidéo. On discute sur chaque critère et on fait notre podium. C’est tellement passionnant que ces formations durent au minimum cinq heures, ce sont des réunions qui commencent à 17 heures jusqu’à pas d’heure. On a instauré ça l’an passé. Ça permet d’harmoniser nos notes, d’apprendre des autres et d’affiner nos oreilles et notre regard. »
Tu disais que cette expérience de jury vous poussait à remettre en question vos acquis. Que veux-tu dire par là ?
Parfois, lorsque l’on n’est pas confronté à l’autre, on pense que notre parcours culturel est l’unique vérité. Et en étant confronté aux autres, on se retrouve avec une culture qui a plusieurs vérités. Que ce soit le chant ou la danse, ces disciplines sont influencées par la nature, l’environnement, l’énergie des anciens, son histoire… Ce sont des vérités propres à chaque petite communauté, et dans cette grande communauté, on se retrouve avec toutes ces vérités, un peu comme des pierres, qui font le marae de notre peuple. Et c’est ça qu’il faut accepter, qu’il n’y ait pas qu’une seule pierre. Même la pierre difforme, finalement, va servir à consolider ce marae. Flora Devatine disait que chaque pierre est importante, même le tout-venant, parce que le tout-venant maintient les grosses pierres qui sont apparentes et qui sont belles. Chacun a sa pierre à apporter et on ne peut pas dire qu’il n’y a qu’une façon de faire, par exemple, un fa’arapu pour une danseuse ou un tarava tahiti pour le chanteur… Il y a plusieurs façons et ce sont toutes des vérités. »
Pendant les soirées de concours, il y a une grille de notation pour poser le cadre, mais est-ce que le jury sera plus sensible à une chose ou une autre ?
Il y a une grille de notation, qui a d’ailleurs été revue par souci d’honnêteté, parce que quand les experts en danse devront noter les chants, on serait incapables. On sait les apprécier, mais on ne saurait pas déceler toutes les voix et dire si telle voix a été bonne ou pas. Donc on a procédé cette année, dans tous les domaines, à des fiches complètes pour le jury expert et des fiches simplifiées pour le jury non-expert. Avant, on allait demander leur avis aux spécialistes et on mettait une note qui ressemblait à la sienne, donc autant laisser ça aux spécialistes. Après, je n’ai donné aucune directive aux membres du jury. Nous avons des richesses de parcours, on est tous différents, et c’est cette différence qui est importante. La seule direction que je leur ai donnée, c’est de rester eux-mêmes et de parler. C’est important que chacun s’exprime et c’est le consensus avec toutes ces richesses qui va donner les gagnants de ce Heiva. »
“C’est important que chacun s’exprime et c’est le consensus avec toutes ces richesses qui va donner les gagnants de ce Heiva”
Un nouveau prix en chants
Si les groupes de danses peuvent remporter un grand prix récompensant l’ensemble de leur création, il manquait aux concurrents de la catégorie chant leur grand prix. Cette année, le prix Tumu Ra’i Fenua récompensera le groupe ayant cumulé le plus de points dans les catégories obligatoires, à savoir le tarava, le ‘ute paripari et le ru’au. Un trophée et un prix de 300 000 Fcfp seront attribués dans ce cadre.
Les groupes en compétition
Cette nouvelle édition du Heiva i Tahiti réunit 19 groupes de danses et 19 groupes de chants, qui s’affronteront amicalement sur l’aire de spectacle de To’ata. Ces groupes sont inscrits dans les catégories suivantes :
• En danse
– Hura ava tau (amateur), 9 groupes : Hei Rurutu, Te Ao Uri no Te-Ara-Hiti, Tama no Aimeho Nui, Fare Ihi no Huahine, Teahinui, Natihau, Parata, Pupu Ori Tamari’i Vairao, Tahiti Hura.
– Hura tau (professionnel), 10 groupes : Pupu Tuha’a Pae, ‘Ori i Tahiti, Tamari’i Toahotu Nui, Temaeva, Hei Tahiti, Tahiti ia Ruru-tu noa, Nonahere, Te Tiare no Beachcomber, Heikura Nui, Nuna’a e Hau.
• En chant
– Tarava Tahiti, 10 groupes : Reo Papara, Pupu Himene Tamari’i Vairao, Natihau, Te Noha no Rotui, Te Pare o Tahiti Aea, Tamari’i Vai Umete, Te Pape Ora no Papofai, Tama no Aimeho Nui, Tamari’i Papeari, Tamari’i Mataiea.
– Tarava Raromata’i, 5 groupes : Natiara, Tamari’i Manotahi, Tamari’i Mahina, O Faa’a, Te Ao Uri no Te-Ara-Hiti.
– Tarava Tuha’a Pae, 4 groupes : Tamari’i Tuha’a Pae no Mahina, Hei Rurutu, Tamanui Apatoa no Papara, Tamari’i Rapa no Tahiti.
Retrouvez le programme des soirées et toutes les infos pratiques sur le site www.heiva.pf.
Vahine Ta’ere